La
notion de ville-ressource nous permet de définir un champ d'actions
possibles qui épouse déjà, dans un flou stimulant, tout un champ d'expériences
et de réalisations concrètes. En porte-à-faux entre deux réalités, l'une
imaginable, l'autre observable, la ville-ressource est un objet de
recherche peu commun dont l'approche soulève deux questions de méthodes :
comment aborder cet objet bi-face sans donner l'ascendant à l'une ou l'autre de
ses deux dimensions ? Comment développer autour de lui un dialogue
équilibré entre deux cultures disciplinaires, l'une « constative »
propre à la sociologie et l'autre davantage prospective attachée à
l'architecture et à l'urbanisme ?
Nous
avons choisi de répondre à ces deux questions en tablant sur une démarche qui
part du singulier réalisé pour réfléchir, imaginer, mettre en
perspective le singulier possible. Donner de l'importance au singulier,
c'était faire le choix d'une réflexion basée sur un corpus ouvert, un
inventaire de projets et d'expérimentations qui ne s'arrêtait ni à une zone
géographique donnée, ni à un domaine d'initiatives spécifique. Les projets sur
lesquelles nous avons choisi de travailler concernent aussi bien la production
d'énergies, de services, de loisirs soutenables, que la création d'espaces
publics, résidentiels, agricoles ou culturels d'un nouveau genre. Les deux
seuls critères que nous avons retenus pour les pister et les collecter sont les
suivants :
- aussi variés soient-ils, ces projets reposent
sur un détournement économe d'espaces urbains utilisés ou
désaffectés, d'objets en état de fonctionnement ou au stade de déchets, ce
détournement pouvant s'appliquer à l'histoire culturelle et sociale d'un lieu,
aux utopies que la ville elle-même a pu et peut encore susciter.
- Quelque soit leurs objectifs de départ, ces
initiatives développent des solutions qui excèdent les problèmes contextualisés
qu'elles entendent résoudre. Répondre à un besoin, à une attente déclenche ici
une série de propositions en chaîne qui donnent lieu à une équation du
type : 1+1 =3. Comme en témoigne à lui seul le projet Playpumps, une
solution concernant l'approvisionnement en eau d'une aire urbaine, et
développée contre toute attente sur le terrain du loisir, peut avoir un impact
déterminant sur l'accès à l'éducation et sur la santé publique d'une communauté.
Nous
organisons l'approche de ces projets en les regroupant selon des champs
thématiques suffisamment souples pour accueillir ce qui fait, au-delà de leurs
singularités respectives, leur singularité commune, à savoir les chevauchements
et les continuités qu'ils savent créer entre des besoins, des problématiques,
des dimensions d'usage qui n'ont pas toujours vocations à se rencontrer et à se
compléter.
Pour
chaque champ thématique abordé, nous classons les projets étudiés selon trois
échelles d'initiatives et d'intervention : celle de l'invention par l'usage,
celle de la proposition architecturale, celle du projet de territoire. Cette
partition n'a pas pour objectif d'installer une quelconque hiérarchie entre les
initiatives qui retiennent notre attention. A travers elle, nous cherchons au
contraire à pister les continuités qui fondent les logiques de fabrication de
la ville-ressource, logiques qui rapprochent ces trois échelles d'une
manière inédite. A l'heure où crises
économique et environnementale vont de paire et réclament des solutions, nous
voyons des chercheurs de tout bord (élus, entrepreneurs, professionnels de
l'espace, usagers) les construisent en faisant valoir des logiques horizontales
de collaboration, de circulation des idées et de combinaison des savoir-faire.
Si ces logiques viennent contredire la verticalité de celles qui ont longtemps
dominé l'aménagement de nos villes et de nos territoires, elles témoignent
d'une forme d'intelligence diffuse dont les ressorts sont difficiles à cerner.
En faisant dialoguer sur le papier les trois échelles où cette intelligence
s'exprime le mieux, nous tentons de décrire une façon de construire la ville
qui n'est pas plus logée dans la tête de l'usager que dans celle de l'élu ou de
l'architecte. L'intérêt de cette fabrication est qu'elle se réalise et
s'imagine à la croisée des marges de manœuvre que chacun de ces acteurs
conquière sur son terrain, la conquête de l'un ayant pour effet d'inspirer et
d'élargir les marges de manœuvre des deux autres.
Rendre compte de ces logiques, de ces marges,
de ces expérimentations est en soi une forme d'expérimentation que nous faisons
progresser en prenant le temps de lui donner une forme communicable. Ce travail
de recherche suppose d'essayer d'une manière ouverte différentes formes,
différents agencements capables de coller à une réalité urbaine qui se cherche
elle aussi et plus que jamais d'une manière ouverte.